Le roi Willem-Alexander des Pays-Bas pourrait-il retrouver ses pouvoirs politiques ?

Alors que le pays se prépare à retourner aux urnes après la chute du Cabinet de Dick Schoof, la question du rôle du souverain dans le processus de formation gouvernementale refait surface. Constatant l’échec de la réforme de 2012 le confinant à une position d’observateur, plusieurs partis en appellent à un retour du roi au premier plan. Décryptage.

Par Lilian Delhomme - 09 juin 2025, 15h31

 Le roi Willem-Alexander et la reine Maxima des Pays-Bas.
Le roi Willem-Alexander et la reine Maxima des Pays-Bas. © RVD - Erwin Olaf

Moins d’un an après sa formation, le Cabinet Schoof est tombé, le 3 juin 2025, suite au retrait unilatéral du PVV de Gert Wilders (extrême droite) de la coalition au pouvoir. Alors que le roi Willem-Alexander devait se rendre en République tchèque pour une visite d’État de deux jours, du 4 au 5 juin, décision est alors prise de laisser la reine Maxima terminer seule le déplacement pour permettre au souverain de regagner La Haye et de se voir remettre la démission formelle du Premier ministre. Dans la foulée, Sa Majesté a également reçu les présidents des Première et Seconde Chambres du Parlement, connu sous le nom d’États généraux, ainsi que le vice-président du Conseil d’État pour s’enquérir de la situation. Conclusion, c’est bien une crise politique qui s’ouvre dans le pays, que des élections anticipées, le 29 octobre prochain, devraient tenter de résoudre.

Geert Wilders, le 4 juin 2025, lors du débat sur la chute du Cabinet à la Seconde chambre des États généraux. En arrière plan, le Premier ministre sortant, Dick Schoof.
Geert Wilders, le 4 juin 2025, lors du débat sur la chute du Cabinet à la Seconde Chambre des États généraux. En arrière-plan, le Premier ministre sortant, Dick Schoof. © ABACA

Les Néerlandais devront pourtant s’armer de patience avant de connaître le nom du ou de la prochaine Première ministre. La proportionnelle intégrale étant la règle, il est quasiment impossible pour un seul parti d’obtenir la majorité à la chambre basse des États généraux. À la minute où les résultats des élections législatives sont connus, s’ouvrent alors de longues et complexes tractations en vue de former une coalition. D’abord, un "éclaireur" est nommé pour sonder les différentes alliances possibles. Ensuite, un "informateur" teste la faisabilité de la coalition la plus solide. Enfin, un "formateur", généralement celui qui se verra confier la charge de Premier ministre, consulte en vue de composer le Cabinet. Ce n’est qu’après ces trois étapes que ce dernier entre officiellement en fonction. À la suite des dernières élections, en novembre 2023, ce processus a duré rien de moins que sept mois et dix jours.

Traditionnellement, il revenait au ou à la souveraine, en sa qualité de membre du Gouvernement avec le Cabinet, de nommer personnellement éclaireurs, informateurs et formateurs. Usant de leur impartialité politique et de l’autorité inhérente à la Couronne, les reines Wilhelmina, Juliana et Beatrix ont ainsi pu faciliter les discussions, aider les partis à dépasser de potentiels blocages, voire même rappeler à l’ordre des politiciens jouant la montre. Pourtant, depuis 2012, le trône est exclu de la formation du gouvernement. Pour rendre le processus "plus transparent et démocratique", la Seconde Chambre vote cette année-là une réforme qui donne au président de cette assemblée la responsabilité de conduire les négociations. Dotée d’un flair politique certain, la reine Beatrix, alors en poste, n’aurait que peu goûté cette révision constitutionnelle. Certains y voient même l'une des raisons qui l'aurait encouragée à abdiquer en faveur de son fils dès l’année suivante.

La reine Beatrix et son gouvernement sur les marches du palais Huis ten Bosch, le 5 novembre 2012.
La reine Beatrix et son gouvernement sur les marches du palais Huis ten Bosch, le 5 novembre 2012. © ABACA

Quatre ans après son intronisation, Willem-Alexander expérimente la première formation d’un Cabinet sans participation royale, à l’issue des élections de 2017. Ce seront les négociations les plus longues depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec plus de sept mois de tractations. Fait rare, la Maison royale fait part de sa "déception" de ne pas avoir été davantage tenue au courant de l’avancée des événements, alors que le souverain demeure le chef de l’État et le garant des institutions. Mark Rutte, alors Premier ministre, s’engage à ce qu’il soit à l’avenir davantage impliqué, malgré la perte de son rôle central dans le processus. Depuis, le roi reçoit en audience, après chaque élection, tous les chefs des partis politiques représentés aux États généraux ainsi que les éclaireurs, les informateurs et les formateurs, à intervalles réguliers.

Le roi avec Martin Bosma, président de la Seconde Chambre, le 20 décembre 2024, lors de la formation du Cabinet Schoof.
Le roi reçoit en audience Martin Bosma (PVV), président de la Seconde Chambre, le 20 décembre 2024, lors de la formation du Cabinet Schoof. © Getty Images

"L'exclusion du chef de l'État du processus de formation était une erreur"

Si la réforme de 2012 a pu donner l’impression que la formation d'un gouvernement adoptait une forme plus démocratique, il serait hasardeux de penser qu’elle l’a rendue plus efficace. Les trois élections qui suivent celles de 2017 ont chacune battu des records de durée dans la composition des gouvernements, alors que les dernières négociations chapeautées par la reine Beatrix en 2012 n’avaient pris que deux mois. Si la polarisation grandissante de la vie politique néerlandaise explique en grande partie ce phénomène, nombreux sont les observateurs, politiques et citoyens qui pointent du doigt l’exclusion de la Couronne comme facteur aggravant.

Le roi Willem-Alexander et Dick Schoof, le 2 juillet 2024, lors de la préstation de serment de ce dernier.
Le roi Willem-Alexander et Dick Schoof, le 2 juillet 2024, lors de la préstation de serment de ce dernier. © ABACA

En 2024, le député Bart van de Brink du CDA (démocratie chrétienne, centre droit) déclare ainsi que "l'exclusion du chef de l'État du processus de formation était une erreur, et parfois, la meilleure décision est d'annuler une réforme". Un constat partagé par les autres partis de droite et du centre, comme les libéraux du VVD, les agraires du BBB ou les conservateurs du CU. À l’inverse, la gauche, représentée par le PVDA et D66, penche davantage pour la désignation "d’autres personnalités éloignées de la politique comme le vice-président du Conseil d’État", rappelle le quotidien Het Parool.

Les Néerlandais sont tout aussi divisés sur la question. En 2023, selon un sondage réalisé par Statista, 34% des citoyens soutenaient un retour du roi dans le processus de formation du Cabinet, contre 30% qui y étaient opposés. Aux États généraux, c’est pourtant bien l’extrême droite et le PVV qui pourraient être faiseurs de roi sur la question et faire pencher la majorité nécessaire à une telle réforme. Pour les partisans du roi, cela relève d’une gageure, Gert Wilders et son parti n'étant pas connus pour soutenir ardemment la Maison d’Orange-Nassau, qui a historiquement tenu ce courant à l’écart des affaires politiques. Mais, après sa décision impopulaire de faire chuter le Cabinet, qui pourrait lui faire perdre un grand nombre de sièges aux prochaines élections, le PVV ne semble pas à un hara-kiri près…

Lire aussi >> Ouverture du Parlement aux Pays-Bas : un roi face à son peuple

Personnalités liées

Dans la même catégorie

Abonnez-vous pour recevoir le magazine chez vous et un accès illimité aux contenus numériques

  • Le magazine papier livré chez vous
  • Un accès illimité à l’intégralité des contenus numériques
  • Des contenus exclusifs
Voir les offres d’abonnement
OSZAR »